Shaker : la parité, oui mais comment ?

22 déc. 2017

9min

Shaker : la parité, oui mais comment ?

Alors que des pays comme l’Islande, la Finlande, la Norvège, la Suisse et le Rwanda ont pris une longueur d’avance et campent les cinq premières places du classement des pays les plus paritaires en 2017, la France atteint seulement la 17ème place.

Mais au-delà d’être un sujet de société, la parité est aussi un vrai sujet d’entreprise. Car si rien de concret n’est mis en place, c’est en 2186 que nous atteindrons (peut-être) une égalité entre femmes et hommes au travail selon une étude menée par Le Forum Economique Mondial. 2186, c’est loin.

Lors de notre événement Shaker du 19 décembre 2017 , nous avons échangé sur le sujet avec deux professionnels :

  • Salima Maloufi, Diversity Program Manager chez la French Tech, le mouvement français regroupant les startups des différentes industries.

  • Alain Masson, Responsable Diversité et Inclusion chez Sodexo, une entreprise proposant des solutions pour améliorer la qualité de vie des salariés.

La parité, pourquoi faire ?

Il revenait de démarrer notre rencontre avec nos intervenants en mettant les pieds dans le plat : « la parité, pourquoi faire ? Et pourquoi c’est essentiel ? »

La réponse de Salima Maloufi, Diversity Program Manager chez la French Tech, est sans appel : « C’est une évidence ! C’est une responsabilité sociale et durable d’intégrer hommes et femmes dans l’entreprise, et donc dans la société, de la même façon. » Pour elle, ces questions sociétales doivent être prises en charge par les entreprises car cela a un triple impact positif : sur la société, sur l’entreprise elle-même, et surtout sur les individus qui la composent.

Mais selon nos deux intervenants, intégrer des femmes pour la seule raison qu’elles sont nées femmes justement, n’aurait pas de sens. Il revient plutôt d’identifier clairement les raisons qui expliquent cette nécessaire évolution vers plus d’égalité, et surtout comprendre quels avantages cela représente pour tous.

La parité, vecteur d’évolution et d’innovation

Pour Salima Maloufi, « Il ne faut pas laisser faire le système sinon il se reproduit ». Casser un vieux schéma et mettre à mal quelques clichés semblent être les premières missions des entreprises plus paritaires.

Des mouvements dans les représentations mentales de chacun, parfois solidement ancrées, sont plus que les bienvenus, notamment car les discriminations à raison du genre, pourtant interdites juridiquement, sont toujours présentes dans les entreprises.

Nos intervenants expliquent d’ailleurs qu’hommes ou femmes semblent parfois être victimes de leurs propres stéréotypes.

Salima Maloufi différencie ainsi l’image réelle de l’image projetée. Beaucoup de femmes auront par exemple tendance à calquer les éléments de langage et comportements de l’entreprise qu’elles rejoignent pour ne pas faire de vagues, être mieux intégrées dans leur équipe et se positionner elles-mêmes dans le sillage de la bien-pensance collective alors que les hommes seront plus imperméables à l’avis de leurs pairs.

Ainsi, alors que les premières se placeront plus en retrait, les seconds hésiteront moins à prendre position, affirmer un point de vue, s’opposer à une décision hiérarchique ou demander quelque chose, comme une augmentation ou une promotion par exemple.

Nos intervenants soulignent que cet exemple de l’augmentation - ou plus globalement de la rémunération - est particulièrement parlant car cela arrivera autant à l’une et l’autre à plusieurs moments de leur carrière respective. Alors qu’un homme qui négocie va être plus naturellement considéré comme quelqu’un d’ambitieux, carriériste ou sûr de lui, une femme sera plutôt considérée comme capricieuse ou pire : vénale. Les caractéristiques mentales attribuées à chacun des sexes, par purs stéréotypes, sont très présents au sein de l’entreprise qui agrège un grand nombre d’individus aux tempéraments différents qui aura tendance à catégoriser les réactions des gens en fonction de leur sexe : « les hommes sont comme çi et les femmes comme ça… » Il revient dès lors à l’entreprise d’intégrer chacun également avec sa personnalité et de considérer ses objectifs professionnels indépendamment de son sexe. Ce qui fera, de facto, évoluer les mentalités aussi en dehors de l’entreprise. Il y a donc une mission sociale et sociétale à plus de parité dans l’entreprise.

La parité, vecteur de valeur et de challenge

Pour ces raisons, instaurer la parité au sein d’une entreprise est aussi vecteur de valeur.

Pour Alain Masson, Responsable Diversité et Inclusion chez Sodexo, il s’agit aussi de « déconstruire les stéréotypes car beaucoup d’études sur le sujet démontrent qu’une équipe mixte permet justement une meilleure mixité des points de vue. » Points de vues multiples qui génèrent une meilleure réflexion sur les actions à mener par l’entreprise et peuvent donc être créatrices de plus de valeur.

Certains éléments financiers prouvent d’ailleurs qu’au sein d’équipe mixte (c’est-à-dire qui accueillerait au moins 60% d’hommes et 40% de femmes), les résultats financiers ou extra financiers sont plus importants et surtout plus durables.

Cette création de valeur créée aussi son lot de challenges en amont. Notamment concernant le recrutement de nouveaux collaborateurs. Sur ce point, Salima Maloufi rappelle que les proportions hommes/femmes dans les entreprises sont souvent le reflet des proportions hommes/femmes dans la société et dans les écoles, et plus spécifiquement au sein des Grandes Écoles notamment de commerce et d’ingénieurs. Il s’agit donc de s’adresser - à travers une culture d’entreprise et une communication de recrutement inclusive - aux femmes, moins présentes dans ces écoles.

En termes de parcours et de vision, il s’agit donc pour notre intervenante de « porter des projets différents avec des mentalités différentes » grâce à la présence des femmes dans les entreprises et à des postes à responsabilités, non pas pour « apporter de la douceur dans l’écosystème mais pour apporter une vision différente de la Bro-culture de la Silicon Valley. » particulièrement excluante.

Car, quand on est du même sexe, du même univers, de la même école : on a la même façon de penser, la même façon de se comporter et « ça donne une image très particulière du monde du travail » déplore Alain Masson. Pour Salima Maloufi, il faut également : « être conscient que c’est plus simple d’aller recruter des gens qui se ressemblent, des gens sortis de telle ou telle école. Car ça demande un effort pour aller chercher de la diversité » et du temps, que les managers et RH ont peu.

Quels moyens déployés pour atteindre la parité ?

L’écueil majeur identifié par Salima Maloufi est de « faire reposer un problème de société sur les épaules des individus. Car ceux qui ont les clés ce sont les entreprises et les RH ! »

Si les RH ont le pouvoir, quels sont les moyens mis à leur disposition pour réellement faire bouger les lignes ? Et quand on parle d’égalité, on parle de quoi ? Égalité en termes de représentation, de missions, de rémunération ? Il faut identifier les problèmes pour pouvoir les résoudre.

En interne

1. Le recrutement

Pour Alain Masson, il s’agit de se poser la question de la parité dès l’embauche de nouveaux collaborateurs et de mettre en place des cadres, des règles et des process RH très clairs. « On parle de très loin historiquement et socialement donc il faut mettre des choses un peu processées pour faire avancer les choses plus vite. » Mais comment est-ce que, concrètement, fait-on pour aller chercher des profils différents de ceux que l’on va recevoir pour un poste donné ? Chez Sodexo, a été créé un poste dédié celui de « Responsable diversité », occupé par Alain Massion, qui doit donc s’occuper de toutes les questions concernant la parité. Créer un poste, c’est en faire une priorité et l’inclure clairement dans les missions de l’entreprise.

Pour Salima Maloufi, il s’agit de penser plus globalement et essayer de recruter plusieurs personnes dans cette même démarche paritaire. Car « recruter une seule personne au profil différent pour se donner bonne conscience n’est pas suffisant. » Notamment, parce que, cette personne, par mimétisme et face à des collègues plus ou moins identiques, va copier les attitudes et éléments de langage du groupe sans exprimer sa différence. Une femme, recrutée dans un univers professionnel très masculin, pourra donc avoir tendance à se masculiniser pour être mieux intégrée au groupe. C’est ce qu’on appelle l’acculturation.

Chez Sodexo, une des solutions proposée est de sélectionner systématiquement un CV d’une femme et un CV d’un homme pour le même poste, et donc de comparer non pas le sexe mais bien les compétences brutes. Alain Masson assure d’ailleurs que « à compétences égales, je prendrai les profils les moins représentés ».

2- La question des salaires

Les écarts entre hommes et femmes sont aussi tout particulièrement visibles quand il s’agit des salaires. Rappelons qu’à conditions égales, l’écart de salaire entre hommes et femmes est toujours de 9.9% !

Chez Sodexo, une action concrète est déployée par Alain Masson et ses équipes pour tenter de rééquilibrer cet écart : « Nous allouons une enveloppe de 0.1% de la masse salariale globale pour rééquilibrer le salaire des femmes. » 0.1% c’est bien mais à ce taux, cet écart ne se réduira pas en quelques mois mais bien en quelques années. Nos deux intervenants concèdent que cette question ne se règlera pas du jour au lendemain et demandera aux entreprises, et aux dirigeants qui donnent l’exemple, de passer des consignes et, surtout, de les faire appliquer.

Enfin, et pour les raisons évoquées plus haut dans cet article, l’écart des salaires peut apparaître dès l’embauche car les femmes n’osent pas demander autant que leurs homologues masculins, par peur d’être jugées, notamment sur leurs ambitions.

3 - La communication

Pour permettre à la parité d’être totalement intégrée par les collaborateurs, elle doit être représentée et portée par le top management qui doit donner l’exemple et se positionner clairement sur le sujet. Cette communication directe ou indirecte doit être pour Alain Masson « un engagement venant du haut de l’entreprise, l’information sur le sujet doit circuler dans toutes les strates de l’entreprise » car l’idéal est de proposer un discours et un positionnement cohérent à l’ensemble de l’entreprise. Et Salima Maloufi de confirmer : « Afficher clairement son engagement pour la mixité, c’est prévenir les discriminations ».

Ce qui fait notamment la différence pour Alain Masson, c’est « de proposer un environnement inclusif qui permet de sensibiliser tout le monde et de rappeler de manière indirecte les ordres et les règles et faire preuve de courage managérial ».

Aussi, pour Salima Maloufi : « L’entreprise doit pouvoir mettre en avant des profils divers et en faire des modèles de réussite pour tous. » et ne pas permettre d’exceptions dans l’attitude des collaborateurs : « les blagues sexistes en entreprises ce n’est pas possible, on n’est pas entre potes ! » défend cette dernière.

En externe

1 - Faire évoluer les mentalités…

Nos intervenants tiennent également à mettre en lumière le rôle de l’éducation personnelle de chacun et celui de l’Éducation Nationale. La parité doit être un sujet abordé par la famille et l’école car il y a une perméabilité très forte entre les entreprises et l’Éducation Nationale sur le sujet.

L’idéal serait pour eux « d’intervenir dans les classes, dans les jurys d’école, dans les conférences pour faire comprendre aux élèves de tous âges que la parité, c’est possible. C’est une question d’éducation dès le plus jeunes âge. »

Car pour l’instant, Salima Maloufi note que :

« À l’université, puis dans les entreprises, on conditionne les femmes à aller dans des filières plutôt que dans d’autres. Les secteurs sont féminisés et masculinisés. » - Salima Maloufi, Diversity Program Manager de la French Tech

Ce mécanisme de séparation des sexes est intégré et reproduit par les individus des deux sexes tout au long de leur carrière professionnelle.

Et pour Alain Masson, il s’agit d’éduquer pour endiguer petit à petit le phénomène et permettre une libéralisation de la parole. Cela est, selon lui, un phénomène déjà en marche car « les jeunes générations semblent s’impliquer un peu plus et ont un petit temps d’avance par rapport à leurs aînés.»

Au-delà d’une éducation initiée en amont dès les bancs de l’école, Salima Maloufi rappelle que c’est ensuite à la charge des employeurs de travailler leur marque employeur pour aller chercher des femmes autant que des hommes. « Ce sont des questions de conduite de politique du changement pour lesquelles il faut se donner les moyens. » En somme, la communication c’est bien, mais les faits c’est encore mieux.

2 - … Pour accompagner les changements de vie des salariés et donc ceux de l’entreprise

Le rôle des RH est enfin d’accompagner les salariés dans leurs étapes de vie plutôt que de les ignorer. Car, que les femmes se sentent discriminées dès l’embauche - notamment lors de les fameuses questions « Avez-vous des enfants ou souhaitez-vous en avoir ? » - que les pères n’osent pas demander leur congé paternité - de peur par exemple d’être jugés par leurs pairs - ou encore que tous soient obligés « d’inventer des stratagèmes ou des excuses pour ne pas avoir à dire qu’on va s’occuper de ses enfants » est une aberration pour Salima Maloufi.

Mais la grossesse, les congés maternité et paternité ou encore les enfants sont autant de sujets encore tabous dans un grand nombre d’entreprises ce qui représente pour Alain Masson : « un préjugé net ». Ce dernier plaide en faveur d’une organisation plus claire de ces moments de vie que presque tous les salariés partagent. « Ces événements font partie de la vie, on ne va pas les ignorer. Il suffit de prendre les choses en amont, se préparer et s’organiser. » Et Salima Maloufi de conclure : « *Personne n’est irremplaçable, ce lien de dépendance n’est pas bon pour une organisation et une personne. S’organiser fait partie de la bonne santé d’une entreprise afin de ne pas faire porter une culpabilité trop forte sur les épaules d’une mère ou d’un père.* »

Heureusement aujourd’hui, de nombreuses entreprises créent leurs propres règles notamment pour favoriser l’équilibre vie professionnelle, vie personnelle que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, notamment en posant la question de l’obligation et/ou de l’allongement du congé paternité. Enjeux qui permettent à ces messieurs, de monter aussi sur le devant de la scène. La parité pour tous, donc, et sur tous les sujets.

Si déclaration d’intention et action vont de paire, ce sera réussi et on peut alors espérer voir le changement apparaître aux portes de nos entreprises avant l’année 2186.

Pour nos intervenants, il s’agit aussi pour les entreprises qualifiées de « bonnes élèves » de prendre la parole de manière positive et de communiquer sur leurs résultats pour encourager les évolutions. Un mot d’ordre donc : faire passer le mot, et monter au créneau.

Quelques chiffres :
  • 2011 : La loi Copé-Zimmermann impose 40 % de présence féminine dans les conseils d’administration des grandes entreprises et Entreprises de tailles intermédiaires (entre 250 et 4999 salariés) à partir de 2017.

  • 3 : Le nombre de femmes de pouvoir au CAC 40 à la fin 2017 mais aucune n’est PDG

  • 9,9% : L’écart de salaire entre hommes et femmes à postes équivalents

Les conseils à retenir :

  • Lutter contre les stéréotypes genrés au sein de l’entreprise : « les hommes sont comme ceci et les femmes sont comme cela.»
  • Véhiculer une culture d’entreprise saine pour élaborer une communication de recrutement positive et inclusive auprès des candidats.
  • Allouer du temps à la recherche de profils diversifiés et mettre en place de vrais process RH.
  • Créer un poste dédié - Responsable diversité - pour faire de la parité une vraie priorité d’entreprise.
  • Passer des consignes, les faire appliquer et communiquer : le top management doit donner l’exemple et se positionner clairement sur le sujet
  • Communiquer et s’organiser en interne concernant les grands moments de vie personnels des salariés - naissance, congé maternité/paternité - afin d’éviter les stratégies d’évitement ou sentiment de culpabilité.
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